L'exposition "Our Body" de Gunther Von Hagens se tient actuellement Place de la Madeleine à Paris. Elle a été refusée successivement par le Musée de l'Homme et la Cité des Sciences, et c'est tout à l'honneur de ces deux institutions.
Monstrueuse exposition s'il en est. Elle me paraît illustrer à la perfection le point de non retour où semble être arrivé l'Art dans notre monde contemporain.
Songez que nous avons devant les yeux des humains, comme vous et moi, et non pas des sculptures imaginées par un artiste qui devrait, ceci dit en passant, se poser des questions sur ce qu'il est et fait. Des humains donc, qui ont eu une vie avec des joies, des peines, des souffrances, et tout le respect qui leur est dû pour cela, comme à tout un chacun. Mais là, où est le respect ? Des corps morts, démantelés, desarticulés, désossés, écorchés, avec un plaisir manifestement morbide et pathologique, et donnés en pâture à l'oeil du plus grand nombre. Et de plus plastifiés, plastinés pour les rendre incorruptibles : terrible parodie d'Immortalité et d'Eternité.
Une manifestation à fuir véritablement afin de ne pas donner à son auteur la légitimité et la reconnaissance qu'il ne mérite pas d'avoir. Mais les temps modernes sont parfois si obscurs, qu'il se trouvera toujours quelque bourgeois "cultivé" et s'estimant esthète pour trouver cela digne d'intérêt et beau.
PS – J'ai délibérément choisi de ne pas mettres d'images de l'exposition dans cette note. Si vous souhaitez cependant en voir une vidéo, je vous invite à aller sur le blog d'un nouveau venu sur Vox, à qui je souhaite d'ailleurs la bienvenue : http://malcomey.vox.com .
Très juste ! Mais il me semblait nécessaire d'en parler, ne serait-ce que pour que nous nous interrogions sur la nécessité de réintroduire, au coeur d'un éventuel débat, l'éthique dans la théorie "l'art pour l'art" ! Deux questions se posent à nous :
1- Est-il légitime de conférer une dimension culturelle à tout ce qui se donne comme produit artistique ? N'y-a-t-il pas une hiérarchie fondée non seulement sur le bon sens, mais encore sur le travail, nous autorisant à distinguer comme appartenant à la culture ce qui relèverait d'une élaboration "savante", plutôt que du spectaculaire ? Finkielkraut évoque, dans La défaite de la pensée, ce tout à vau l'eau culturel, hérité des populistes russes du XIXème siècle, qui se résume au fameux : "Une paire de bottes vaut mieux que Shakeaspeare". Sérieusement, peut-on, sans souscrire à la "trahison des clercs" (pour emprunter à Benda), décréter à l'instar d' un Harlem Desir, par exemple, que Montaigne appartient à notre patrimoine intellectuel au même titre qu'Yves Mourousi et la télévision ? N'y-a-t-il pas là une certaine confusion mentale assortie d'une démagogie avérée ?
2- A-t-on le droit maintenant, au nom d'un certain didactisme , voire d'une visée soit disant pédagogique, d'accepter, au seul titre qu'il s'agisse d'Art, qu'on enfreigne toute dignité humaine. Jusqu'où l'Art doit-il faire l'économie de la morale ?
Autant de questions qu'aura suscitée pour le moins cet expo !
Je te remercie de m’inviter à lire et donc m’exprimer sur cette note concernant un sujet qui a déjà fait beaucoup parler depuis quelques années.
Il me semble nécessaire d’apporter d’ores et déjà une rectification : si le procédé mis en œuvre de plastination des tissus est bien un brevet déposé par Von Hagens, il ne s’agit nullement d’une exposition dont il serait responsable, d’après les informations que l’on peut trouver actuellement sur ce sujet.
Ensuite, j’aimerais tout de suite dissiper le possible manque de discrimination qui consisterait à se rallier à l’opinion selon laquelle, pour reprendre tes mots, cette exposition paraît illustrer à la perfection le point de non retour où semble être arrivé l'Art dans notre monde contemporain. L’art contemporain est divers et il suffit d’ouvrir un numéro d’Art press (revue représentative des expérimentations les plus contemporaines) pour s’apercevoir que l’art ayant trait au De immundo pour reprendre un titre de Jean Clair n’est pas l’unique point de fuite de la perspective tracé par des artistes comme James Turrell, Patrice Hamel, Anselm Kiefer, pour ne citer que ces quelques-là, au hasard.
En ce qui concerne le sujet de l’exposition, je récuse également l’idée que la fascination pour le morbide serait caractéristique de notre temps ainsi que l’intérêt des artistes pour ce type de sujet. Songeons donc un instant à la collaboration fructueuse que fut celle qui unit les médécins de la Renaissance et les plus grands noms de la peinture de l’époque (Da Vinci, Véronèse). Les planches d’écorchés étaient certes des objets de savoir mais également des objets artistiques. Et l’on sait également que des dissections se faisaient publiquement, pas seulement sous l’œil d’étudiants*. En un sens, l’exposition Our body me semble se placer dans cette continuité.
Reste deux problèmes. Celui juridique et éthique : peut-on disposer du corps d’un mort pour l’exposer dans un but autre que scientifique. Evidemment, l’organisateur a prévu cette question puisqu’il tente de placer l’exposition sous un double parrainage artistique et scientifique. N’ayant pas été voir cette exposition, je me trouve bien en peine d’en parler plus précisément mais là encore, la monstration de corps ou d’organes de défunts n’est pas une première (les intestins de Louis XIV ont été ainsi exposés).
Mais ceci m’amène à me poser la question du corps post-mortem et de son rapport avec l’identité qu’il a accueillie. Troublante question que la relative concision d’un commentaire ne permet pas de traiter.
Le deuxième problème est pour moi l’aspect le plus gênant : l’origine des corps, autour de laquelle plane un doute déplaisant. On ne peut en effet s’empêcher de penser à nouveau aux pratiques anciennes dont certaines sont analysées dans l’ouvrage de Grégoire Chamayou, Les Corps vils (livre que je ne connais que par une émission radiophonique où l’auteur était invité à s’exprimer sur ce sujet).
S’il s’avérait, comme certains le pensent, que ces corps ont été « acquis » indûment voire que certains organes aient été prélevés dans des circonstances que le plus élémentaire respect de la personne humaine réprouve, cela suffirait à justifier l’interdiction de cette exposition.
Pour terminer, je tenais aussi à relever ce que tu appelles en faisant référence au procédé de conservation des tissus une parodie d’immortalité et d’éternité. Peut-être bien, mais pas plus que l’embaumement qui fascine les foules égyptomanes, et peut-être guère plus que les masques mortuaires et autres moulages qui entendent donner une postérité au corruptible.
*Ce n’est pas le sujet ici, mais à propos de l’attrait pour le morbide, il ne faudrait pas non plus oublier la pratique des exécutions capitales publiques, très prisées, associant parfois les pires sévices, comme ce fut le cas pour Damien qui avait attenté à la vie de Louis XV et dont le supplice est rapporté par Foucault dans Surveiller et punir.